28. oct., 2016

"Un Juif pour l'exemple" de Jacques CHESSEX (CH)

Qu’il est exaltant de voir les mots se lier les uns aux autres si aisément !

Jacques Chessex a démontré depuis des décennies son talent d’auteur hors pair. Poète, écrivain et peintre, je le lis pour la première fois à travers cette œuvre.

Le roman se déroule à Payerne (CH). En 1939, alors que la deuxième guerre mondiale est déclarée, plusieurs centaines de chômeurs sont mobilisés pour renforcer l’armée fédérale. Les ressources de la ville diminuent, des petits commerces et des banques sont obligés de fermer. La colère des habitants gronde dans les rues. Mécontents de cette économie qui chute, les autochtones commencent à palabrer sur ces juifs locaux à qui profite cette nouvelle économie. Cette situation, l’antithèse de celle qui se vit dans le reste de l’Europe, nourrit la haine des esprits hitlériens qui cherchent à établir à Payerne, « les premières marches du règne helvétique nazi».

C’est alors qu’en avril 1942, le pasteur Philippe Lugrin, homme respecté de sa communauté, va sciemment profiter de la confiance du peuple pour déployer propagande persuasive et excitation des rancœurs afin de nourrir son antisémitisme, reflet de la putréfaction de son âme. Cet « obsédé théologien antisémite » va faire la rencontre de Fernand Ischi et de sa troupe. Jeune homme de 16 ans, ivre d’orgueil, manipulable à souhait et fasciné par l’Allemagne et la prise de pouvoir d’Hitler.

L’interaction de ces deux acolytes, « un théologien dévoyé et son apprentis Gauleiter », va engendrer un plan macabre. Le titre du livre nous en dit long : Un juif pour l’exemple.

« [...] qu’ils sachent ce qui leurs pend au nez. [...] L'ordre de mort est accompli. Le règne vient. Heil Hitler ! [...] »

On ne dénombre plus la quantité d’histoires qui ont été racontées sur le massacre des juifs. Mais chacune d’entre elles à une valeur propre et vous touche immanquablement.

L’auteur débute la narration, comptée comme un souvenir d’antan, en se tenant à équidistance, nous permettant ainsi d’être bon public en nous offrant, une fois de plus, une lecture délectable. Puis, d’une manière évidente, cette distance se réduit, jusqu’à devenir inexistante. Jacques Chessex devient la voix narrative, une transition parfaite qui donne à cette histoire une nouvelle force, une intimité confessionnelle.

« Je n’attendais rien de la rencontre, le hasard seul m’a mis en présence de ce fou. Je prends place à une autre table sans détacher mes yeux du personnage qui commence à agir en moi comme un aimant malfaisant. Et tout à coup je le sais : il y a une perversion absolue, salement pure, incandescente sur ses ruines, qui relève de la damnation. L’homme abominablement verrouillé qui poursuit son rêve absurde à deux pas de moi ne dépend plus d’aucune instance humaine, il dépend de Dieu.  [...] J’ai vu Lugrin, c’est un spectacle qui salit, [...] »

Ce passage est un coup de cœur. Chaque mot utilisé l’est à bon escient. Il est puissant, vrai, juste. On y voit la folie pure, le mal imprescriptible qu’aucune condamnation humaine ou ordalie ne pourra affranchir. Le seul jugement possible et impartial se révèle être entre les mains de Dieu. 

 


L'auteur

Jacques Chessex est né le 1er mars 1934 à Payerne. Poète, écrivain et professeur de français et de littérature au Gymnase de la Cité à Lausanne, il écrit dès son plus jeune âge de la poésie et publie en 1954 son premier recueil Le Jour proche.

En 1956, à la suite du suicide de son père, son œuvre tirera alors l’essentiel de sa dramaturgie et de sa thématique d’un scénario existentiel marqué par cet événement tragique. En 1973, il obtiendra le prix Goncourt pour son roman L'Orge et occupera, dès lors, une position majeur dans la littérature romande.

Le 9 octobre 2009, il décédera des suites d'un malaise cardiaque à la bibliothèque publique d'Yverdon-les-Bains alors qu'il participe à une conférence au sujet de l'adaptation théâtrale de son roman la Confession du pasteur Burg.

Jacques Chessex est le seul écrivain suisse ayant reçu le prix Goncourt, mais également le prix Goncourt de la poésie en 2004.

Plus d'informations via

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Chessex

http://www.hommages.ch/defunt/47701/jacques_chessex

http://www.ina.fr/video/3813836001

 

Commentaires

06.11.2016 12:21

Pierre Yves Lador

livre Ropraz il se nomme Jacques -Henri lador au lieu de Pierre Yves Lador. j'adore ces erreurs de wiki et d'internet en général, cela les humanise en quelque sorte....

06.11.2016 12:59

Estée

Oui c'est vrai. Quand on n'a pas connu l'auteur, il peut y avoir ce genre d'erreur, c'est humain. L'important c'est d'être suffisamment humble pour les corriger et écouter ceux qui l'ont connu.

06.11.2016 12:19

pierre yves lador

c'est le père Pierre qui est dans wiki et dans le monde dit réel directeur de collège secondaire. mais dans wiki, la biblio de Chessex au chapitre Morceaux prétend que l'un des collaborateurs du livr

05.11.2016 01:32

Estée

Après avoir passé une soirée "Hommage à J. Chessex" j'ai découvert que mes sources étaient fausses. Ceci est rectifié. Meilleures salutations et merci encore 😊

31.10.2016 13:48

Lucienne Girardbille

Jacques Chessex, écrivain, n'aurait pas souhaité qu'on écrive de lui qu'il était directeur d'un établissement secondaire. Professeur de français et litterature, oui. Au Gymnase de la Cité à Lausanne.

04.11.2016 10:51

Estée

Bonjour, merci pour votre commentaire. Comment savez-vous qu'il n'aurait pas aimé ?
La biographie est tirée de Wikipédia, je n'ai rien inventé. Est-ce-que c'est une information erronée ?