4. janv., 2017

"Le Tour du quartier" de Pierre DE GRANDI (CH)

« Quand l’animal est le reflet de l’artiste, mythe ? Allégorie ? Réalité ? »

J’ai rencontré Pierre De Grandi lors d’une journée ensoleillée de l’été 2016. Dans le merveilleux jardin botanique de Lausanne, il participait avec d’autres auteurs à la journée annuelle organisée par La Maison Éclose. En tant que bénévole, je lui étais « attitrée » pour servir à ses auditeurs de doucereux cocktails, durant un temps de lecture intime sur le thème de « la gourmandise ». Lors d’un moment d’accalmie, j’ai eu le plaisir de m’asseoir face à lui et de l’écouter me raconter sa nouvelle, écrite pour l’occasion.

Ses mots délicats, subtils, tintaient à mes oreilles. Leurs saveurs m’emmenaient dans un rêve gourmand, me prenant par la main pour éviter l’égarement. C’est donc avec une certaine fébrilité que j’ai lu « Le tour du quartier », sa dernière œuvre sortie en 2011.

Vous découvrirez dans ce roman une histoire scindée en deux parties bien distinctes. P. De Grandi a su développer un trait d’originalité en restant l’acteur principal de « deux » récits identiques, changeant de peau au gré de son rôle. Dans la première partie, il nous raconte sous un procédé monologue, l’actualité d’un chien domestiqué, surnommé plus tard « la Truffe ». D’apparence « normale », il le révèle habité d’un esprit plus humain qu’animal. Ses désirs canins, ses souhaits, ses pensées vont parfois bien au-delà d’un instinct ancestral.

« En chemin, je musarde un peu ; je m’attarde et me plais à trottiner le long du rivage. De temps à autre, je concède un écart pour éviter l’avant-garde des vagues les plus vigoureuses.

[…] La Surface de la mer n’est que le visage mouvant qu’elle offre au ciel et au vent, ne laissant en rien présumer de son monde intérieur, de la vie dans ses profondeurs. Immatérielle comme son reflet, la surface de l’eau est pourtant une barrière infranchissable, tant pour le regard d’un chien sur la plage que pour tous les poissons qui ne savent rien de la neige ou des étoiles, ni même des vagues et des pinèdes, pas plus que de la rapidité du léopard, de la douceur du miel, de la complicité des chiens et des hommes, ou du sourire de Chérie (sa maîtresse). Même un type comme Albert (son partenaire) est pour eux inimaginable, » – p. 137 et 138

Voilà un extrait parmi d’autres que je chéris tout particulièrement. En fermant les yeux, sa figuration douce et mélodieuse du bord de mer suffit à me transporter là où mon esprit vagabonde. Mais le voyage est de courte durée, à regret. Car dans l’ensemble, ce premier récit reste trop ordinaire, manquant de mordant si j’ose l’expression. Seule la fantaisie du chien « intelligent » y amène un certain relief.

Dans la seconde partie, l’auteur échange sa peau de canidé contre celle d’un homme. Gardant un procédé partiellement identique, y ajoutant quelques dialogues et des poèmes fleurissant ça et là, il raconte la vie de Barth, un écrivain renommé, épuisé par le joug de sa notoriété, dont le seul souhait est « de trouver le sésame qui le fera sortir de sa chrysalide ».

« […] Toute cette agitation me séparait de mon environnement coutumier et nourricier. Le temps me manquait. L’oisiveté me fuyait. La contemplation m’échappait. La perte de ces repères dressait une sorte de mur autour de moi. […] » - p. 183

« Imperceptiblement, il continua à élever son assise circulaire. Comme un igloo. Au fur et à mesure qu’il constituait sa voûte, ma portion de ciel se réduisait comme peau de chagrin. Elle finit par disparaître, […] » - p. 184

Pour ma plus grande joie, cette nouvelle vision du récit révèle la plume sensible entendue quelques mois auparavant. Cette histoire, qui n’a pourtant rien de grandiloquent, atteint une certaine profondeur à travers la personne de Barth. Sans personnification, on peut ainsi se projeter et se sentir concerné par la situation de cet homme.

J’admets l’hypothèse que mon esprit à tendance cartésienne, ne se soit pas retrouvé dans la première partie. Parce qu’au-delà de ça, c’est un roman agréable à lire, d’un langage adapté, simple, clair, précis, formant des phrases bien construites, agrémentées avec parcimonie d’un vocabulaire plus élaboré. Si mon avis sur ce roman est mitigé, et que je porte une réelle préférence au récit de Barth, je ne serais pas étonnée que des esprits plus libres, dotés d’un organe arborescent, s’y retrouvent avec aisance et plaisir dans celui de « La Truffe ».

 


L’auteur

Originaire de Zell, dans le canton de Zurich, Pierre De Grandi est né à Vevey en 1941. C’est à Lausanne qu’il obtient son diplôme de médecine en 1966 puis son doctorat en 1970. Médecin-chirurgien, enseignant et scientifique, il a terminé sa carrière en 2007 en tant que Chef du Département de gynécologie-obstétrique, Directeur médical du Centre Hospitalier Universitaire vaudois et Professeur à la Faculté de Médecine de Lausanne. Fils de peintre et homme d’une très grande culture, il est passionné de musique et préside l’Association vaudoise des amis de l’Orchestre de la Suisse romande. Il est l’auteur de nombreux livres et articles scientifiques mais YXSOS ou Le Songe d'Eve est son premier roman publié.

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